L’Oubliée
Dans « Une femme célèbre », roman passionnant, Colombe Schneck revient sur le destin tragique de l’Arrageoise Denise Glaser, célèbre animatrice de l’émission « Discorama » décédée en 1983 dans l’indifférence générale.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DEMAILLY
Est-ce en tombant sur un documentaire qui lui était consacré que vous vous êtes penchée sur l’existence de Denise Glaser ?
Exactement. Si elle m’a tant touchée, ce n’est pas par hasard. Ce qu’elle portait en elle c’est-à-dire cette inquiétude, l’angoisse de tomber, m’a ramenée à plein de choses.
Un transfert ?
Pas un transfert, mais je me suis dit : « C’est un sujet pour moi. » Je n’ai pas tout de suite compris que c’est à cause du précipice, de la chute.
Qu’est-ce qui vous a fasciné chez l’animatrice ?
Ses silences. Sa façon de parler en regardant ses ongles, sa manière d’écouter, son physique particulier, ses questions singulières.
Une femme complexe ?
Elle était très mystérieuse et solitaire. On ne sait presque rien de sa vie privée. Juste qu’elle n’en avait pas beaucoup. Il n’y avait pas d’amoureux, d’enfant, de famille. Peu d’amis aussi.
Elle ne vivait que pour son métier…
Le soir, elle était dans les cabarets pour dénicher de nouveaux talents.
Quand l’émission Discorama a été supprimée (en juin 1968), c’est comme si sa vie s’arrêtait.

Que savez-vous de son enfance à Arras ?
La seule histoire que je connaisse, c’est celle du magasin de ses parents, « Les rideaux bleus », qui était face à l’Opéra sur la Grand-Place. C’est une rumeur qui m’a été racontée par l’écrivain Jean-Louis Fournier (également originaire d’Arras, ndlr). Il m’a confié qu’il faisait l’école buissonnière devant le magasin des parents de Denise parce qu’on disait que des femmes disparaissaient via des trappes dans les cabines d’essayage. On parlait de traite des blanches et les gens n’osaient plus le fréquenter, sauf qu’après enquête de la police, personne ne disparaissait.
Peut-on dire qu’elle fascinait autant qu’elle agaçait ?
Complètement. Elle agaçait parce qu’elle n’était pas dans la norme. Ce n’était une femme de la bien-pensance. Elle mettait des décolletés, elle était dans la séduction avec les hommes. Elle a beaucoup travaillé son physique, elle s’est notamment fait refaire deux fois le nez. Quand j’ai vu des photos de Denise après la guerre, elle avait des cheveux bouclés, des grosses lunettes.
On l’écarte pour des raisons politiques en 1975…
Le président Giscard avait décidé à l’époque de démanteler l’ORTF. Comme elle ne cachait pas ses sympathies à gauche, elle a été licenciée. En 1981, François Mitterrand la reçoit à l’Élysée et on peut imaginer que ça va aboutir. Mais les promesses ne seront pas tenues.
Dans ce livre, vous mettez en parallèle la vie de Denise Glaser et celle de Jeanne Rosen. Cette dernière, c’est vous ?
Elle me ressemble sur certains points. Quand on écrit, on se penche forcément sur soi. Jeanne Rosen écrit un livre pas terrible sur sa grand-mère et s’il a du succès, c’est parce que son amant est un puissant critique littéraire.
Et vous avez un amant critique littéraire ?
Imaginons que j’en ai un et que j’ai de bonnes critiques, ce n’est pas pour cette raison-là. C’est quelque chose dont on m’a accusée dès le départ. Et c’est pour cela que j’ai eu envie de raconter ça.
J’ai pas mal de copines écrivains et dès qu’elles ont un bon papier, on considère l’article comme suspect. Là, j’ai une copine – dont je tairai le nom – qui a beaucoup de succès, certains mettent ça sur le compte que c’est la petite amie de Beigbeder.
N’est-ce pas tout de même un autoportrait ?
Je n’espère pas être aussi masochiste et aussi égoïste que Jeanne (rires).
Elle est « voleuse, menteuse, mal élevée, maladroite, riant à ses propres blagues, n’aimant rien d’autre que de parler d’elle »…
Rire à mes propres blagues, c’est vrai. Après, je ne peux pas décrypter tout le livre en disant si je suis comme ça dans la vie.
J’aime bien jouer avec ce paradoxe.
Avez-vous vraiment reçu des courriers qui se plaignaient de votre élocution mitraillette ?
J’ai reçu des lettres d’une grande violence et encore je n’ai pas tout mis. Je fais des efforts pour parler moins vite.
En quoi Jeanne Rosen se rapproche-t-elle finalement de Denise Glaser ?
Dans l’inquiétude, la peur de l’éphémère.
Et vous, êtes-vous inquiète de votre avenir professionnel ?
J’ai eu de grands moments de panique. Quand j’ai été virée de Canal+ où je travaillais depuis dix ans et à moitié de France Inter, je n’en menais vraiment pas large. Mais j’étais en train d’écrire. Du coup, j’avais le sentiment que ce qui m’arrivait n’avait aucune importance.



















