Votre œil est le poignet de la lumière

 

 

 

 

En poésie comme en peinture, René Char (1907-1988) et Pablo Picasso (1881-1973) ont tous les deux entretenu un art puissamment évocateur, régi par une poésie de l’éclatement incomparablement sublime et novatrice. Leur rencontre était comme une évidence : le pinceau au service de la plume, Picasso collabora à plusieurs ouvrages de Char par l’intermédiaire de leur ami commun, Paul Eluard. Tous deux se vouaient une admiration mutuelle, comme en témoigne cette missive en forme d’éloge envoyée par le cueilleur de mots au chantre de la couleur et des formes.

 

 

 

 

Cher Picasso,

Votre œil est le poignet de la lumière. J’ai vu votre Exposition. Jamais la condition plastique n’avait surplombé le convulsif avec une telle sécurité, une telle communicabilité, un tel zénith émotionnel. Soyez remercié. La répartition de la chaleur, de la lumière et du givre manuel consomment la conquête.

J’ai donné à Ch. Zervos pour le prochain Cahier d’art le texte ci-joint. Peut-être consentiriez-vous à lui affranchir la vie ? Je pense au poème d’Eluard que vous aviez si fortement projeté en l’entourant de vos multiplex. Dans les abominables heures que nous vivons où la France est truie, cette Cléopâtre de gouttière tourne le dos à l’Espagne, impossible de donner sa tête à autre chose qu’à cet acier enfant trempé dans la mort…

J’aimerais beaucoup vous parler cher Picasso. Je vais écrire une « étude » sur vous. Voulez-vous avoir l’extrême bonté de dire à ma femme quand je puis vous venir voir. Aujourd’hui je suis un peu souffrant, mais la semaine prochaine je serai tout à l’éventualité de cette rencontre, si vous le voulez bien ?