De La pluie et le beau temps
Jacques Prévert (1900-1977) doit quitter l’école pour travailler dès l’âge de treize ans. Il est mobilisé en 1918 puis après la guerre achève son service militaire au Proche-Orient où il rencontre deux autres auteurs, Marcel Duhamel et Yves Tanguy avec lesquels il fonde à son retour à Paris un groupe de réunions, dit « groupe de la rue du Château », où l’on peut croiser les poètes Desnos, Aragon, Soupault. Prévert intègre le groupe surréaliste en 1925 mais rompt avec eux à la suite du différend qui les oppose violemment à André Breton.
Prévert se tourne alors vers le théâtre militant au sein d’un groupe d’intellectuels engagés (le groupe Octobre) : il écrit pour eux et ses pièces sont représentées dans les usines en grève en 1936.
Jacques Prévert rencontre alors le réalisateur Marcel Carné et collabore en tant que scénariste et dialoguiste à des films devenus des classiques du cinéma français : Drôle de drame en 1937, Quai des brumes (1938), Les Visiteurs du soir en 1942, Les Enfants du Paradis (1945)…
Jacques Prévert ne cesse d’écrire des poèmes mais il faut attendre la publication de Paroles en 1945 pour que son talent soit reconnu et ses oeuvres diffusées à un large public grâce à leur mise en musique par Joseph Kosma. Ses textes sont ainsi chantés par les Frères Jacques ou Yves Montand (qui interprète Les Feuilles mortes, chanson issue du film Les Portes de la nuit de 1946). Il s’installe à Saint Paul de Vence et publie d’autres recueils de poésie dont La pluie et le beau temps en 1955 et quelques livres pour enfants.
Son langage simple et ses jeux de mots ont permis à certains de ses poèmes et dialogues de cinéma de faire partie intégrante de la culture populaire du XXe siècle.
Dans le cadre du magazine littéraire Lectures pour tous, diffusée de mars 1958 à mai 1968, le présentateur Pierre Dumayet s’entretient avec Jacques Prévert. Pour l’occasion, l’émission change de cadre et les caméras se transportent au domicile du poète. On remarque même à l’image la présence d’une enfant, la fille du poète qui se cache derrière son père.
Le musicien Henri Crolla improvise à la guitare alors que Jacques Prévert lit un extrait de son dernier recueil de poésie La pluie et le beau temps. Diffusé le 2 août 1955, l’entretien dans son intégralité dure une dizaine de minutes. On constate son ton décontracté : le poète comme le journaliste fument leur cigarette et la lecture de plusieurs poèmes (A quoi rêves-tu ? , Le Ramoneur ) semble improvisée. Ce document permet également de (re)découvrir le timbre très caractéristique de la voix du poète qui avait lui-même tenté de mettre en musique ses poèmes avec la complicité de son ami guitariste Henri Crolla
Pierre Dumayet
Vous avez fait un disque suivant le même principe d’ailleurs,
Jacques Prévert
Oui
Pierre Dumayet
Vous avez lu des poèmes et vous avez improvisé.
Jacques Prévert
Oui
Pierre Dumayet
Vous improvisez, vous préférez improviser ?
Henri Crolla
Ben, je trouve que pour Jacques, c’est ce qu’il y a de mieux, et puis il aime ça Jacques, et puis il improvise d’ailleurs lui-même quoi.
Pierre Dumayet
Et vous improvisez après lui
Henri Crolla
Après lui
Pierre Dumayet
Improvisation en différé
Jacques Prévert
Et puis, je l’ai connu tout petit
Pierre Dumayet
Oui, bien sûr [INCOMPRIS] Vous pouvez nous lire, un, deux, trois textes, même ? Si vous voulez un court, après je voudrais que vous lisez l’histoire du ramoneur, pas en entier mais
Jacques Prévert
Mais c’est long « Le Ramoneur », on peut pas tout lire.
Pierre Dumayet
On peut pas tout lire, non.
Jacques Prévert
Parce que c’est long. Toujours des bonnes excuses
. Fais la musique peut-être, toi.
Le temps attend
Emerveillé de tout,
Ne s’étonnant jamais de rien
Lui qui vient chanter
Suivant les saisons
Suivant son chemin
Quand les oignons me feront rire
Les carottes me feront pleurer
L’âne de l’alphabet, a su m’apprendre à lire
A lire pour de vrai
Mais une manivelle a défait le printemps
Des morceaux de glace
lui ont sauté à la figure
J’ai trop de larmes pour pleurer
Ils font la guerre à la nature
Moi qui tutoyais le soleil
Je n’ose plus le regarder en face.
Jacques Prévert
A quoi rêvais-tu ?
A quoi rêvais-tu ?
Vêtu puis revêtu
A quoi rêvais-tu ?
Rêvais-tu ?
J’ai laissé mon vison au vestiaire
Et nous partions dans le désert
Nous vivions d’amour et d’eau fraîche
Nous nous aimions dans la misère
Nous mangions notre linge sale, en famine
Et sur la nappe, le sable noir tintait la vaisselle du soleil
Nous nous aimions dans la misère
Nous vivions d’amour et d’eau fraîche
J’étais ta nue-propriété.