Wajdi Mouawad 

 Une fenêtre pour fendre la brutalité du nouvel horizon -Extrait-
Et nous attendons une intervention d’Athéna pour être libérés ? De quoi ? Du cours de la vie.
À moins que notre histoire ne s’apparente pas tant à celle d’Ulysse, mais à celle d’un autre grand confiné qui, à la même époque, se vit obligé de s’enfermer pour une longue période.
« En l’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, ce jour-là, jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s’ouvrirent. La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. Et Yahvé ferma la porte sur Noé. »
Confinement mythique que fut celui de Noé, de ses fils et de l’ensemble des animaux, tous ensemble sur l’Arche. Peut-être que nous sommes les descendants de Noé et que, de génération en génération, nous attendons toujours la fin du déluge mais, comme cela ne nous fut plus raconté, ni transmis, nous l’avons oublié. La colombe n’est jamais revenue et avec elle la branche de l’olivier, et cela aussi fut oublié. Peut-être même que, plus d’une fois, elle revint pour nous indiquer le chemin, mais ne sachant plus ce qu’elle représentait, ayant oublié le symbole qu’elle était, oubliant même pourquoi elle revenait, nous ne pouvions pas comprendre ce qu’elle avait à nous apprendre. Les animaux qui étaient avec nous sur l’arche, eux qui étaient là pour sauvegarder toute espèce, sont devenus pour nous une survie. Nous les avons massacrés et dévorés. Nous nous sommes plus d’une fois massacrés nous-mêmes et voilà qu’au bout de cette longue marche, par temps de paix, par temps ensoleillé, au printemps, notre arche s’échoue sur une terre invisible. Je reste allongé alors que tout le monde dort.
Cette longue journée s’achève avec cette image de l’arche de Noé. Comme un cadeau. Image qui me calme car elle m’aide à mieux comprendre ce qui nous arrive. Quelque chose de notre confinement ressemble un peu à celui de Noé. Du moins, son confinement m’aide à réfléchir. C’est cela la panique. Lorsque nous ne savons plus comment réfléchir. J’ouvre la Bible et relis le passage. Je comprends alors le texte autrement. Il m’arrive autrement.
La situation que nous traversons éclaire le texte autrement. Il n’est plus un mythe. Il me parle directement. Il me rassure même. Notre arche est immense et elle est faite de toutes les langues de la terre, faite de toute notre humanité. Ce que je ressens, ce que je vis, est ressenti et vécu par un grand nombre d’êtres humains sur cette terre. Au jour de la décrue, lorsque les portes de l’arche s’ouvriront et que nous remettrons pied à terre, quel sera le monde nouveau qu’il nous faudra construire ? Notre origine sera à jamais séparée de nos identités. Et à ceux qui naîtront plus tard, nous dirons que nous sommes ceux et celles nés avant le confinement mais dont l’identité s’est modelée à partir de lui, grâce à lui. Plus que le dépassement de l’épreuve que nous traversons, celle d’être à la hauteur de ce que nous apprenons sera assurément le défi de notre époque. Et il nous faut sans doute commencer à le penser dès à présent. En termes de théâtre, on appelle cela une dramaturgie de la victoire.
Résultat d’image pour Wajdi Mouawad

Les commentaires sont fermés.

Chemins de mots et de poesies |
Eloge de la critique |
Livredethot |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Yengift
| Stephanienerita
| Stephanie durieux